Un amour de lama
Depuis quelque temps je garde en un mas
Au milieu d'une faune domestique
Un être étrange, même énigmatique,
Qu'on nomme, faute de mieux, un lama.
Il était jeune, il n'avait pas cinq mois,
Le jour radieux où il prit son service,
Car en cela consistait son office
D'apporter au passant un doux émoi.
Pour la galerie, le coup réussit;
Son port élégant, son allure altière
Vous subjuguaient de semblable manière
Qu'ont les chatons d'amollir l'endurci.
Déjà je songeais qu'un jour faiblirait
Le charme d'un si attrayant mirage;
Toute jeunesse est chemin de passage,
Le lieu de bâtir confiance et respect.
Et de fait, j'ai trouvé à qui parler.
L'animal révéla son caractère
L'instant qu'il m'envoya rouler par terre
Sans paraître pour le moins désolé…
Simple justice, il fallait le gronder,
Rappeler au mutin mes droits de maître;
Pourtant maintes fois il dut comparaître,
Cumulant les délits sans s'amender.
Bientôt naquit en moi la déception
D'avoir planté en terre canadienne
Un spécimen de race péruvienne
Ignorant de nos lois et traditions.
Je cuvais mon dépit, un soir d'hiver,
À soigner mon verrat, le doux Rosaire,
Quand je sentis, en nettoyant son aire,
Qu'on prisait de mon cou la tendre chair.
Une fois revenu de ma stupeur
Passa dans mes yeux un trait de lumière,
Un début de réponse à mes prières,
La clef d'un cas d'espèces… Mais pour l'heure,
J'attendais l'occasion de valider
Un soupçon précoce de jalousie;
Instinct de protection pouvait aussi
Mener l'esprit de mon camélidé.
Ledit gardien se montra justement
Secourable auprès des brebis voisines,
Se forgeant, d'un examen de routine,
Une impression de mauvais traitement.
L'hostilité ne me contrista point :
Mon rachat n'a-t-il pas valu l'outrage
D'un crachat soufflé au divin visage?
Un changement s'opérait néanmoins
En mon âme poussée à réflexion.
Pouvais-je faire quelque remontrance
Pour un dépôt, un trait de ressemblance,
Pour le décret qui régla son action?
Il me faisait penser au Bon Berger
Dévoré pour nous d'une ardeur brûlante
Confirmée d'une offrande succulente
Car il avait charge de protéger.
À Noël, j'installerai au salon
Pour qu'il veille sur l'Enfant de la crèche
Un nouvel ami, sur la paille fraîche,
Placé sur ma route, tel un jalon;
Et quand les verrai, sous neige et frimas,
Méditant en mon cœur le don du Père,
Qu'Il daigne verser, sur moi mercenaire,
Pour tous mes pairs, un amour de lama.